C'est une histoire très brève qui
m'est arrivée à Lisbonne dans un bus orange de la Carris.
J'avais 25 ans. J'avais choisi de
quitter la France et principalement mon métier ( journaliste dans la
presse régionale), accessoirement mon grand amour. Ou le
contraire.
C'est une mère de saint (mae de santo) de Salvador de
Bahia qui m'avait conseillé cette rupture. Tourner la page. Je
n'aimais plus mon métier sans doute aussi parce qu'il ne m'aimait
pas. Pas mon métier, mon grand 'amour.
J'étais partie en vacances au mois de
janvier, à Lisbonne et j'étais miraculeusement tombée amoureuse
d'un jeune portugais dans le train.
Ensuite, j''ai lu Tabacaria (bureau
de tabac) de Fernando Pessoa.
J'ai lu Os Culs de Judas
(le Cul de Judas) de
Antonio Lobo Antunes. J'ai commencé à apprendre le portugais avec
une brésilienne qui habitait derrière la gare Montparnasse. J'y ai
appris des phrases que je n'ai jamais réutilisées pour héler le
porteur de bagages ou demander au garçon d'étage d'appuyer sur le
bouton de l'ascenseur.
Un an a passé
avant que je prenne la décision de tout quitter. Le jeune Portugais
avait une fiancée qui s'appelait Hortensia et allait se marier.
C'était déjà du passé quand j'ai débarqué pour apprendre le
portugais et lire la poésie portugaise en portugais. Je dis souvent
que je suis née à Lisbonne cette année là. C'est une façon de
dire que cette ville et ses habitants m'ont sauvé la vie. Ses poètes
aussi.
Voilà comment je
me suis retrouvée dans le bus orange de la Carris assise à parler
en portugais avec une hollandaise et un chinois. Ou un béninois et
un espagnol. Je ne me souviens plus avec qui j'étais. Peut être
même que j'étais seule et je lisais. De la poésie portugaise. Um
pais de poetas. Un pays de poètes.
J'avais loué une
chambre dans une maison à Estoril. La propriétaire était la demi
soeur de Fernando Pessoa. La femme de ménage prétendait que je
dormais dans le lit du poète.
Ça a été très
bref. A un moment je me suis retrouvée seule dans le bus. Un jeune
homme avec des lunettes moitié chauve s'est levé juste avant
l'arrêt, il s'est dirigé vers moi, m'a souri et sans un mot, m'a
tendu un morceau de papier . Il est descendu. J'ai déplié le papier
et j'ai lu avec difficulté son écriture de pattes de mouches :
Realizar
o amor é desiludir-se Quando nao é desiludir-se é acostumar-se
Acostumar-se é morrer. Por mim so amei na minha vida e amo a um
estrangeiro de quem nao vi mais do que o perfil, a um cair de tarde
quando estavamos numa multidao...
et c'était signé : Fernando Pessoa.
Je n'ai jamais revu ce jeune homme. De toute façon, tout s'est passé
si rapidement que j'aurais été incapable de le reconnaître. J'ai
l'impression d'avoir rêvé mais j'ai conservé le petit bout de
papier.
Vivre son amour est une désillusion. Quand ce n'est pas une désillusion, c'est l'accoutumance. L"accoutumance, c'est la mort. Moi dans ma vie j'ai seulement aimé et j'aime une étrangère dont je n'ai vu que le profil, à la tombée de la nuit , alors que nous étions dans une foule.
- Où puisez-vous votre énergie ?
RépondreSupprimer- Je suis éternellement amoureuse !
C'est une citation ?
RépondreSupprimerun dialogue intérieur ?
une question ?
Question qu'on me pose. Réponse que je fais.
SupprimerComme cette histoire est belle !
RépondreSupprimerbrève mais belle. Si je n'avais pas le bout de papier je serais sûre d'avoir inventé ça.
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